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Sleeping cat

CAMILLE TREVOR

"Un shot et je me casse" avait supplié Trevor.

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Mais il n'avait même pas eut la force de le faire lui-même, ses mains tremblaient si fort et ses bras semblaient appartenir à un cadavre, immergé dans la Seine depuis plusieurs jours, boursouflés et méconnaissables. Ses veines étaient cachées par la peau cloquée, trouée à la manière d'une passoire par milles anciennes morsures. Ses avant-bras étaient de bleu et de rouge, couvert de croûtes et de mucus. Camille avait du s'en charger. Il avait serré le garrot, chassé consciencieusement la bulle d'air de la seringue, cherché la veine quelques bonnes minutes. Il avait caressé l'embrasure du coude avec beaucoup plus de tendresse qu'il ne saurait se l'avouer.
Il ne s'était pas prié pour montrer son agacement, fronçant les sourcils toujours plus fort, l'assassinant de remarques diverses pendant la durée de l'opération. Mais au fonds, n'était-il pas satisfait ? Cette action ne signifiait-elle pas que Trevor dormirait ici ce soir, ou du moins, une partie de la nuit ? Il n'aurait plus la force de rien une fois la blanche dans les veines. Il s'éteindrait comme les dernières flammes d'un feu de camp, et Cam aurait le privilège sacré d'observer son visage misérable. Visage qui semblait éternellement sur le point de fondre en larmes, même quand il était dans un état second. Même quand il était "heureux".

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L'héroïne était rapide, elle s'insinuait dans les veines comme un virus avide et montait au cerveau à peine la seringue ayant percé la peau. Cam sentit la maigre résistance de la veine enflée contre l'aiguille, il entendit un petit pop et commença à verser le liquide. Le drogué cracha un long râle de plaisir, fermant les yeux, et se détendant instantanément. Son corps mou tomba sur les genoux de Camille et ce dernier desserra le garrot.
Il resta un moment ainsi, regardant le junkie qui flottait entre deux mondes, pas vraiment endormi, pas vraiment éveillé non plus. Il ne savait pas trop quoi faire. Ce n'était pas comme si la scène lui était inhabituelle, il jouait souvent à ce genre de jeu, mais il s'était abîmé à la contemplation de Trev trop longtemps, et il se sentait à présent un peu perdu. Un long filet de bave coulait de la bouche du rêveur, imprégnant son pantalon. Habituellement, Camille aurait rejeté sa tête contre l'oreiller et serait parti de l'autre coté de la pièce, pestiférant des insultes que le faux endormi ne pouvait même pas entendante. Le traitant d'incapable, d'enfant stupide, de gigolo usé. Mais il était là, figé, regardant cet homme intérieurement mort depuis si longtemps, comme gelé dans le temps. Il douta un moment de sa faculté à bouger, et remua les doigts pour s'assurer qu'il n'avait pas oublié comment faire.

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Les cheveux gras de Trevor recouvraient son visage, courraient le long de ses joues comme de longues queues de rat. Sur sa bouche se dessinait un sourire mouillé, lamentable. Sur ses cils, de légères poussières s'agitaient, sur ses joues, de fines larmes coulaient. Et le cœur de Camille accélérait de secondes en secondes. Il sentait sa respiration se faire progressivement plus manuelle, et il arriva un instant où il se demanda même comment diable il était sensé faire. Sa cage thoracique se gonflait et se dégonflait à un rythme accidentée. Il se sentait hoqueter à cause du manque d'air. Tout son corps lui semblait être en train de fondre. De longs frissons parcouraient son échine à chaque fois que l'enfant esquissait le moindre mouvement, le moindre gémissement. Cam se sentait incroyablement vivant, aussi bien que sur le point de mourir. Il avait peur que son cœur ne lâche, peur d'oublier de respirer trop longtemps, peur de se dissoudre sur son lit.

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Il lui fallut de longues minutes à esquiver le contact de ses mains contre la chevelure de Trev avant de se décider à en poser une contre son crane. L'endormi laissa rouler un grognement satisfait, et Cam eut l'impression que son heure était encore plus proche. Son cœur rata un battement, coula dans son estomac, parcouru le chemin au creux de ses intestins, s'échouant à ses pieds et continua à battre pitoyablement. Il rejeta la tête en arrière, se forçant à inspirer et expirer si fort qu'il aurait cru être capable de faire voler la maison de briques du dernier de ces trois stupides porcelets !

Son pouce avait commencé un mécanisme de caresse contre la tempe de Trevor et Camille se sentit céder. Son esprit lui criait par tous les pores de stopper son manège, qu'il allait s'en mordre les doigts si forts qu'ils les sectionneraient. Mais il ne pouvait s'arrêter face au mouvement félin et approbateur du junkie. Ce dernier frottait doucement sa tête contre ses genoux et avait innocemment rapproché sa main pour agripper pitoyablement le pantalon de son, non moins pitoyable, dealer. 
Le fin duvet de ses tempes était incroyablement doux comparé au reste de ses cheveux. Aussi doux que la peau que Camille commençait instinctivement à parcourir du bout des doigts. De minutes en minutes, de secondes en secondes, il lui semblait conquérir de nouveaux horizons, explorant d'abord ses pommettes saillantes, glissant doucement derrière son oreille, pour couler contre sa mâchoire anguleuse. Il sentait directement les os contre la chaire. Il n'y avait pas de graisse sur le corps de Trevor, il n'y en avait sûrement jamais eut, et la douceur de son derme semblait extrêmement étrange. Il s'était attendu à la froideur des os, à la rugueur d'une enveloppe saccagée par la drogue, la prostitution et les nuits non exhaustives sur le trottoir. Mais il était si cotonneux, si agréable au toucher. Alors ses mains continuaient sur sa gorge, roulant contre sa pomme d'Adam, remontant sur son menton, s'arrêtant juste avant ses lèvres. Timide et coupable, il repartait sur le chemin inverse.

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Camille s'aperçut qu'il avait complètement arrêté de penser, que sa panique apparente s'était apaisée, et que ses yeux ne faisait que fixer Trev sans même le voir. Il s'était mis en pilote automatique, se contenant de respirer beaucoup trop fort et de rassembler son sang dans ses veines pour le guider jusqu'au cœur et le faire repartir dans la bonne direction. Il était tout juste vivant, un pâle fantôme de lui-même, hypnotisé par l'homme à semi-mort qui, lui aussi, commençait à respirer un peu trop fort sur ses genoux. Cam remarqua la bouche entrouverte de Trev, entendit les très légers gémissements satisfait quand ses doigts glissaient contre son menton. Il remarqua la douce avidité de ses lèvres quand la pulpe de ses mains frôlait timidement ses dernières sans s'y attarder. Il nota aussi ce curieux sourire quand il parcourait son cou, caressait sa tempe. Trevor ressemblait à un chat errant dont les caresses lui semblait être une étrange nouveauté, et ses grognements satisfait était pour Camille de gratifiants ronronnements. 

Trevor se tourna. Laissant son visage complètement à découvert. Ses cheveux ruisselaient en de longs jets sur ses joues pour s'échouer contre les jambes de Cam. Ses lèvres paraissaient plus pulpeuses, ses yeux ensommeillés, plus vivants et quémandeurs. Il avait ce léger sourire au coin des paupières. Sa bouche entrouverte, la respiration tout aussi saccadée que celle de Camille, son corps parcouru de tremblements incontrôlable. Pendant une seconde d'égarement, Cam eu l'impression que son colocataire d'une nuit se mordillait les lèvres. Il aperçut une rangée de dent ni blanche, ni jaune. Des dents qui manquaient d'entretien, mais qui semblait étrangement épargnée par le manque évidant d'hygiène du junkie.


Cam crut qu'il allait se mettre à pleurer. Il ne savait pas vraiment pourquoi. Le trop-plein de nervosité peut-être. L'angoisse d'avoir oublié de respirer une nouvelle fois. L'agacement d'être ballotté ainsi par ses propres sentiments. Il hoqueta une plainte, et recommença son jeu de caresses, essayant vainement de se calmer. Ses doigts étaient encore plus doux, il touchait à peine la peau, la frôlait comme si cette dernière était devenue brûlante. Ce contact arrachait toujours les mêmes réactions approbatrices à Trevor, et Camille se demanda alors depuis combien de temps il jouait à ce jeu. Depuis combien de minutes le temps s'était arrêté pour lui. Depuis quand les ténèbres avaient déchiquetés la lumière, et pourquoi il faisait si noir dans le petit appartement. Pourquoi les rayons de lunes avaient choisit d'éclairer uniquement le visage de Trevor et qu'est-ce qui faisait que ses yeux étaient incapable de voir autre chose que ses lèvres mouillées. 

Camille se pencha alors, il ne savait pas trop quel avait été son but premier, mais il s'entendit s'excuser à haute voix. Ce "désolé" brisé, le réveilla de sa propre torpeur, claquant dans le silence mortuaire de l'appartement. Il sentie ses lèvres toucher celles de Trevor. Elles étaient si froides, si tremblantes. L'envie de s'enfuir et d'aller s'éclater la tête contre le miroir de la salle de bain lui imprégna le cerveau. Mais Trev lui rendit son baiser, mais Trev ouvrit les yeux à la manière d'une princesse endormie et il sourit, le souffle aussi court que celui de Camille. Puis tout défila si vite. Trevor qui se lève de quelques centimètres, Trevor qui s'approche, Trevor qui sent la sueur et le fruit pourris, Trevor qui agrippe son T-shirt Nirvana complètement déchiré, Trevor qui presse une nouvelle fois ses lèvres contre les siennes. Trevor aux lèvres si froides, Trevor aux joues glacées, Trevor au gout de cendre. Tous les pores de Camille criaient à l'aide. Rien n'allait, rien n'allait. Oh putain non, rien du tout !

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Et Camille se mit à pleurer, agrippant Trevor encore plus fort, laissant ses mains fusionner avec son T-shirt. Il se laissa tomber sur le lit et enfouit sa tête contre la nuque du drogué. Il le serait si fort, s'afférait vainement à le réchauffer. Essayant, au moins ce soir, de partager sa chaleur avec ce pauvre oiseau aux ailes déchiquetée. De lui offrir le confort d'un lit et d'un corps affectueux. Il enroula ses jambes contre les siennes, il entendit un hoquet, comme un rire affectueux. Mais Trev, s'était déjà rendormi. Mais Trev avait peut-être toujours été inerte. Et Camille, s'excusa encore une fois, fermant les yeux mollement et ne lâchant pas Trevor d'un millimètre. Il agrippa une de ses mains, croisant ses doigts contre les siens. Pourquoi Trévor était-il si gelé ? Pourquoi la chaleur des couvertures ne semblait jamais le soulager, pourquoi, alors que son corps à lui le brûlait, l'irradiait, il n'arrivait pas à transmettre cette chaleur. 
Camille pleura longtemps en silence.

 


Le lendemain, Trevor partirait, chat errant parmi les chats errants, la marque des doigts de Camille encore imprimée sur les phalanges. Le lendemain Cam se réveillerait seul et essayerait de se persuader d'avoir rêvé. Le lendemain, il reconquerrait sa force. Mais ce soir, il n'était qu'un chien de combat blessé qui essayait vaguement de s'excuser en lapant la plaie béante que ses griffes avait laissé sur son adversaire, bien moins victorieux.

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